Le parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse intègre le réseau Wilder Parks
Le parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse a rejoint le réseau européen « Wilder Parks », marquant un tournant pour le réensauvagement en Wallonie. Au programme : reconnaissance accrue, nouveaux financements et une gestion centrée sur le laisser-faire de la nature, dans un contexte où les parcs nationaux belges doivent préparer leur autonomie économique.
Un label européen pour « maîtriser le laisser-faire » de la nature
Rejoindre « Wilder Parks » signifie intégrer un réseau de dix sites pilotes répartis de l’Irlande à la Géorgie et du Sud des Balkans aux pays baltes, où la gestion repose sur la libre évolution des écosystèmes. Concrètement, ce label né sous l’égide de l’ONG Rewilding Europe sélectionne des réserves capables de démontrer l’efficacité du réensauvagement et de partager leurs retours d’expérience. À l’occasion de la signature du 19 novembre 2025, Johanna Breyne se réjouissait de « placer l’Entre-Sambre-et-Meuse et ses précieuses richesses naturelles sur la carte européenne ». La création de ce réseau s’inscrit dans la stratégie biodiversité de l’Union européenne post-2020, qui vise à restaurer 30 % des habitats dégradés d’ici 2030, un objectif rappelé lors de la COP 30, où les dirigeants ont été critiqués pour le manque d’initiatives concrètes. Au-delà de la simple reconnaissance, les critères d’adhésion incluent des protocoles scientifiques rigoureux, un suivi à long terme et l’engagement à communiquer les enseignements tirés. Cette démarche témoigne d’une volonté de repenser la conservation en passant d’un modèle interventionniste à une approche plus adaptative.
Réensauvagement : restaurer biodiversité et services écosystémiques
Le réensauvagement, ou « laisser faire la nature », repose sur l’idée que les écosystèmes disposent intrinsèquement de mécanismes de résilience. Des études menées en Europe montrent qu’en quelques années, on observe une augmentation significative du nombre de papillons et d’insectes pollinisateurs, ainsi que le retour de grands herbivores sauvages. À l’ESEM, la création d’îlots de végétation spontanée a déjà vu l’installation de nouvelles colonies d’oiseaux forestiers. Par ailleurs, la plaine alluviale rénovée améliore la rétention d’eau : les inondations deviennent moins soudaines, les crues sont mieux amorties et les débits régulés, réduisant les dégâts humains et agricoles en aval. De tels résultats confirment que le réensauvagement, adopté notamment dans les Highlands écossais ou dans le parc de Pisinemo en Roumanie, peut servir de bouclier naturel aux dérèglements climatiques. À terme, ce pilotage par la nature participe aussi au stockage du carbone dans les sols et la biomasse. En combinant données biologiques et climatologiques, le parc ambitionne de publier un bilan mis à jour chaque année pour mesurer précisément l’évolution des écosystèmes.
Financer la nature : lever des fonds au-delà du plan de relance
En Belgique, les parcs nationaux s’appuient depuis 2021 sur les fonds européens du plan de relance, conçus pour soutenir la relance post-Covid. Or, ces financements sont temporaires et destinés à lancer des projets innovants. Selon Bruxelles Environnement, près de 20 millions d’euros ont déjà été engagés pour la restauration des écosystèmes belges. C’est dans ce contexte que le réseau « Wilder Parks » propose un soutien complémentaire, à travers des bourses de projet et un accompagnement technique. Pour Johanna Breyne, « on va recevoir des sous », mais surtout « une visibilité et un partenariat européen ». Concrètement, ces aides peuvent couvrir les coûts d’études d’impact, l’achat de matériel de suivi et la communication scientifique vers le grand public. D’autres pistes sont à l’étude : mécénat d’entreprises, écotourisme ou commercialisation de produits locaux labellisés. La Wallonie confirme qu’elle poursuivra ses investissements, mais pour des projets ciblés, le montant précis pour 2026 étant attendu en décembre 2025.
Entre autonomie financière et dépendance aux subventions européennes
Si « Wilder Parks » ouvre de nouvelles perspectives financières, il ne supprime pas le risque de dépendance aux priorités politiques de l’Union. Les subventions sont liées aux objectifs de la stratégie biodiversité et peuvent être révisées selon l’orientation des budgets européens. Les responsables locaux devront donc anticiper un éventuel retrait de fonds. De plus, adapter la gestion naturelle peut entrer en tension avec les exploitations agricoles et forestières voisines, qui craignent une dilution de leurs parcelles ou la prolifération de certaines espèces jugées gênantes. En Wallonie, des comités de concertation ont été mis en place, mais certaines voix pointent un manque de clarté sur la cohabitation des usages. Concrètement, trouver un équilibre entre autonomie économique et respect des dynamiques naturelles reste un défi de taille, d’autant que les critères de performance incluent désormais la mesure des services écosystémiques.
Perspectives : vers un modèle durable pour les aires protégées
Le cas de l’ESEM sera suivi de près par les autres parcs belges et leurs homologues européens. À ce jour, les dix sites « Wilder Parks » englobent des réserves aussi variées que le marais de Corrib en Irlande, les plaines alluviales de l’ESEM ou les forêts intactes de Wester Ross en Écosse. Les indicateurs clés de succès incluront l’évolution des populations d’espèces-cibles, la qualité des sols, le stockage du carbone et la capacité à limiter les phénomènes extrêmes. En pratique, la publication d’un rapport annuel et des visites pédagogiques permettront de sensibiliser le public et de mobiliser des sponsors. À plus long terme, l’enjeu est de démontrer que le modèle Wilder Parks peut être répliqué à plus grande échelle, au-delà des dix sites pilotes. Plusieurs questions restent ouvertes : quel sera l’impact réel sur l’économie locale ? Les mécanismes de financement mixte (public-privé) sont-ils applicables partout ? Enfin, les autorités wallonnes devront arbitrer entre soutien permanent et incitation à l’autonomie, tout en maintenant la cohérence avec la stratégie européenne de restauration des habitats.


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