Nadine Monfils fait de Baudelaire un détective dans son dernier roman : « J’ai envie de réhabiliter le poète auprès des Belges qu’il détestait »

par | 28 Nov 2025 | Faits divers namurois

Dans son nouveau roman La Femme sans tête, Nadine Monfils transforme Charles Baudelaire en détective du Paris du XIXe siècle. En jouant sur le lien singulier entre le poète maudit et la ville de Namur – l’unique cité belge épargnée par son courroux – l’écrivaine belge se donne pour ambition de « réhabiliter » une figure longtemps honnie. Derrière cette intrigue policière ancrée dans l’histoire, c’est tout un pan de la littérature classique qui trouve un souffle populaire et contemporain.

Un détective en blouse de poète

Dans ce premier tome, c’est un Baudelaire inédit que l’on découvre : détective amateur dans les ruelles sombres du Paris haussmannien, il se retrouve chargé d’élucider un meurtre mystérieux. Nadine Monfils a imaginé un décor d’ombre et de lamplight où le poète, « punk avant l’heure », croise des personnages hauts en couleur – un ancien boucher reconverti en confident et une concierge à la libido explosive. Concrètement, le lecteur suit Baudelaire entre tavernes enfumées et ateliers de graveurs, un monde où la syphilis et les dettes côtoient la passion du verbe. En pratique, l’intrigue s’appuie sur des détails réels – vêtements, artisanats, rats courant sur les pavés – pour rendre palpable l’atmosphère d’un Paris oublié. De cette alchimie naît un polar littéraire, oscillant entre spleen et suspense.

Namur, cette exception belge

Lorsque Charles Baudelaire débarque en Belgique en 1864, il fuit le scandale provoqué par Les Fleurs du Mal et espère y trouver la reconnaissance qui lui échappe en France. Pourtant, déçu et criblé de dettes, il ne ménage pas son mépris pour les Belges, qu’il juge « bêtes ». Seule Namur, capitale mosane, fait exception à sa vindicte : c’est là, devant l’église baroque Saint-Loup, qu’il rencontre le peintre Félicien Rops, compagnon d’obsessions pour la mort, l’érotisme et l’iconoclasme. Cette amitié fulgurante illumine par contraste le séjour belge du poète. Le 15 mars 1866, Baudelaire s’effondre sur les marches de Saint-Loup, paralysé, sans voix. Rapatrié à Paris, il y décédera un an plus tard, à 46 ans, porté par un mystère qui nourrit encore aujourd’hui son aura maudite.

Réhabiliter Baudelaire par la fiction

Née à Nil-Saint-Vincent et formée à l’Athénée de Namur, Nadine Monfils confie garder une profonde nostalgie pour son pays d’origine : « Je suis très belge dans mes tripes, dans mes racines ». Quittant la Belgique pour s’installer à Montmartre, elle poursuit pourtant une obsession littéraire : Baudelaire la hante, un peu comme Magritte. Dans son roman, elle en fait un « funambule sur le fil de la vie », extravagant et poignant, et propose au public belge de réviser le portrait d’un homme qu’il a longtemps plumé de sarcasmes. Mais cette démarche de « réhabilitation » soulève une question : doit-on restituer aux figures historiques leur humanité par la fiction, quitte à risquer l’anachronisme, ou conserver une distance critique ? En toile de fond, Nadine Monfils joue un rôle de passeuse, invitant le grand public à redécouvrir un patrimoine littéraire sous un jour nouveau.

Polar littéraire et patrimoine culturel

En misant sur le roman policier, Monfils surfe sur une tendance majeure : le polar “littéraire”, où l’enquête sert de prétexte à une plongée dans une époque. À terme, ce format permet de rendre accessibles des figures canoniques et des contextes historiques souvent perçus comme élitistes. Concrètement, le lecteur n’a plus besoin d’être un spécialiste de Baudelaire pour appréhender les enjeux spirituels et esthétiques de son œuvre, car l’intrigue policière crée une émotion immédiate. Mais l’exercice reste délicat : la rigueur historique peut se heurter à la nécessité d’une intrigue haletante. Cependant, la richesse du décor – rues pavées, réverbères jaunes, petits métiers disparus – et l’appui sur des faits avérés, comme la rencontre avec Rops ou la chute devant Saint-Loup, garantissent une tension entre authenticité et divertissement. À terme, ces romans peuvent devenir des guides littéraires pour le grand public et susciter une curiosité nouvelle pour la poésie du XIXe siècle.

Perspectives et tomes à venir

Après La Femme sans tête, Nadine Monfils prépare déjà la suite des aventures de son enquêteur-poète. Le dernier volet de la série ramènera volontairement Charles Baudelaire en Belgique, bouclant symboliquement la boucle de son périple. Cette construction sérielle témoigne d’un goût pour l’approfondissement progressif et la fidélisation du lecteur. En pratique, chaque tome devrait explorer une facette différente du personnage : son rapport aux arts, sa lutte contre la maladie, son réseau de protecteurs et d’ennemis. À plus longue échéance, l’écrivaine ambitionne de bâtir un pont entre les deux rives de la mémoire franco-belge. Reste à voir si cette démarche trouvera son public autant en Flandre qu’à Paris, et si le mélange de genres saura convaincre autant les amateurs de polars que les passionnés de poésie.

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