Salzinnes: la statue de Léopold II devra encore attendre son nettoyage

par | 15 Nov 2025 | Faits divers namurois, Infos pratiques à Namur

Statue de Léopold II à Salzinnes : le nettoyage repoussé jusqu’au printemps 2026

Depuis son maculage en rouge en février 2025, la statue de Léopold II au rond-point de la place Wiertz à Salzinnes reste immobile, tachetée de peinture. Entre complexité technique, contraintes budgétaires et débat sur la mémoire coloniale, Namur s’oriente vers une restauration plus tardive, accompagnée d’une contextualisation historique.

Un nettoyage différé pour des raisons techniques

La Ville de Namur annonçait un nettoyage « à la fin du printemps 2025 », mais l’opération n’a pas pu être lancée. Concrètement, il a d’abord fallu établir un protocole d’intervention pour déterminer la nature exacte de la peinture utilisée et anticiper la réaction de la sculpture aux produits de nettoyage. « Cela prend du temps dans la mesure où il a fallu d’abord établir un protocole d’intervention pour la restauration de ces sculptures et analyser le type de peinture », explique Stéphanie Scieur, responsable des collections d’art au service Culture.

Ensuite, le travail s’annonce délicat et plus coûteux que prévu : la statue avait été recouverte d’un vernis protecteur. Or, « quand on décape la peinture, on décape aussi le vernis qui est en dessous ». À terme, la totalité de la sculpture devra être décapée pour garantir un résultat homogène, même sur les zones non souillées par la peinture rouge. Ce procédé implique un budget plus élevé et un recours à des décapants spécifiques, compatibles avec le bronze et les alliages métalliques de la statue.

Une œuvre controversée, reflet d’une époque coloniale

Léopold II, qui régna de 1865 à 1909, est aujourd’hui critiqué pour l’exploitation brutale du Congo belge, marquée par l’exaction, le travail forcé et la dégradation des populations locales. Depuis plusieurs années, de nombreuses villes belges reconsidèrent la présence de ses statues dans l’espace public. À Namur, comme ailleurs, la mise en lumière des crimes coloniaux s’accompagne d’une volonté de ne pas effacer systématiquement les monuments, mais de les replacer dans leur contexte historique.

Le vandalisme de février 2025 par un collectif namurois visait à dénoncer ce passé douloureux. Les manifestants ont choisi la peinture rouge pour symboliser le sang versé au Congo. Cependant, pour les autorités communales, le maintien de la statue ne signifie pas une approbation de ses actions. Le bourgmestre Maxime Prévot déclarait il y a cinq ans : « Le maintien d’une statue qui a été réalisée à l’époque ne signifie pas que l’on cautionne la part d’ombre liée à la colonisation ».

Débats entre conservation et commémoration critique

Partout en Belgique et en Europe, la question se pose : faut-il déboulonner les statues de personnalités historiques contestées ou les conserver avec un discours critique ? Les partisans de la conservation estiment qu’en contextualisant les œuvres, on transforme des symboles de glorification en outils pédagogiques. « Un panneau explicatif permettra d’éclairer les visiteurs sur le rôle ambigu du personnage », souligne la Ville, en évoquant un partenariat avec le MusAfrica de Namur.

À l’inverse, certains considèrent que laisser subsister la statue dans l’espace public revient à honorer un dirigeant aux méthodes réprouvées. Pour ces voix, seule une relégation dans un musée, où elle serait destituée de tout piédestal civique, peut véritablement rompre avec la célébration historique. Ce modèle a déjà été mis en œuvre à Bruxelles ou à Anvers, où les statues de Léopold II ont été retirées des rues et transférées dans des institutions muséales.

Les acteurs et leurs enjeux

Plusieurs parties prenantes interviennent dans ce dossier. D’un côté, les services communaux et la Ville de Namur, soucieux de respecter les normes de conservation et de définir un budget réaliste pour la restauration. De l’autre, le MusAfrica, chargé de co-construire le contenu du panneau explicatif, pour apporter un éclairage historico-culturel. Enfin, les collectifs d’activistes, qui entendent que la mémoire des victimes du Congo belge ne soit pas occultée.

Pour la responsable culturelle, l’enjeu est double : « Il faut concilier la préservation du patrimoine artistique et la volonté d’une mémoire lucide ». À l’approche des élections communales, la gestion de cette statue pourrait devenir un sujet sensible, révélateur des priorités politiques en matière de mémoire et de démocratie participative.

Perspectives et questions à venir

Les travaux sont désormais programmés pour le printemps ou l’été 2026, lorsque les conditions météorologiques seront plus favorables. En pratique, la Ville prévoit d’installer en amont un dispositif de protection autour de la sculpture afin d’éviter toute nouvelle détérioration. Le panneau explicatif, conçu avec des historiens et le MusAfrica, devra être validé par le conseil communal.

Cependant, plusieurs questions restent ouvertes : la restauration intégrale du vernis et du bronze modifiera-t-elle l’aspect originel de l’œuvre ? Le texte contextualisant sera-t-il suffisamment visible pour toucher le public ou restera-t-il anecdotique ? Enfin, la démarche namuroise, oscillant entre conservation et critique, inspirera-t-elle d’autres communes belges confrontées au même dilemme ?

À terme, l’affaire de la statue de Léopold II à Salzinnes illustre la tension entre impératifs techniques, enjeux mémoriels et volontés citoyennes. Elle soulève surtout la question de savoir comment nos sociétés peuvent affronter leur passé colonial sans le nier, tout en faisant évoluer le paysage urbain vers une représentation plus juste de l’histoire.

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