À l’ESPA d’Andenne, trois jours pour parler du harcèlement

par | 20 Nov 2025 | Faits divers namurois

L’ESPA d’Andenne mise sur le théâtre pour briser le silence sur le harcèlement

Pendant trois jours, l’École Secondaire Provinciale d’Andenne organise une série d’ateliers et d’animations dédiés à la lutte contre le harcèlement. En mobilisant des comédiens spécialisés et en donnant la parole à ses propres élèves, l’établissement entend sensibiliser, former et instaurer un véritable climat de confiance. Cette initiative soulève à la fois l’enthousiasme et des interrogations sur son impact réel et sa pérennité.

Un théâtre d’action pour sensibiliser aux violences quotidiennes

Pour lancer cette opération, l’ESPA a fait appel à l’association « Touche pas à ma pote », reconnue pour ses interventions par le théâtre d’action. Trois comédiens issus de la ligue d’improvisation belge rejouent devant les élèves des scénarios inspirés de faits réels de harcèlement de rue. À travers ces saynètes, principalement axées sur la violence ciblant les femmes dans l’espace public, ils donnent vie à des situations souvent banalisées. « On leur montre des scènes, je n’espère pas quotidiennes, de femmes qui subissent du harcèlement de rue. Et on leur demande de réagir. Dans un premier temps, on leur demande est-ce que vous trouvez ça réaliste ou pas ? Pour savoir s’ils y sont confrontés », explique Marie Sylvie Hubot, comédienne et intervenante.

Concrètement, après chaque représentation, un temps d’échange permet aux jeunes de porter un regard critique sur les comportements observés. L’approche favorise une prise de conscience non abstraite : les élèves se projettent dans des rôles d’acteurs et de témoins, puis débattent des réactions appropriées. Cette méthode, déjà expérimentée dans d’autres contextes associatifs, se veut plus efficace qu’une simple conférence, car elle sollicite l’émotion et l’engagement actif.

Former les futurs agents d’éducation : une pédagogie par l’expérience

Les principaux bénéficiaires de ces trois jours sont les élèves de 5e année en « Agent d’éducation » et « Aspirant aux métiers de la défense, prévention et sécurité ». Ils ne se contentent pas d’assister aux ateliers : ce sont eux qui, dès jeudi, prendront eux-mêmes la parole auprès des plus jeunes. Quentin, l’un d’entre eux, confie : « On fait des activités qu’on va présenter devant les élèves de la première à la quatrième et donc ils vont passer dans nos stands et on va sensibiliser le plus possible contre le harcèlement. »

À terme, ce dispositif vise à créer une communauté de pairs formés, capables d’intervenir face à des situations à risque. En endossant tour à tour le rôle de formateur et de participant, ces futurs professionnels intègrent les codes de la médiation et de l’écoute. Cette double posture pédagogique leur donne une responsabilité accrue et les prépare à leur futur métier, tout en diffusant la culture de la prévention au sein de l’établissement.

Une cellule « bien-être » pour un suivi intégré

Cette opération s’inscrit dans un cadre plus large initié il y a deux ans : la mise en place de la cellule « R.ESPA seul.e », dédiée au bien-être des élèves et à la prise en charge des signalements de harcèlement. « Il y a une bonne dizaine de professeurs dans l’équipe », détaille Catherine Paques, préfète d’éducation. Chaque élève peut utiliser une petite boîte aux lettres anonyme pour interpeller l’équipe, que ce soit pour soi-même ou pour un camarade.

Une fois le message reçu, un référent de la cellule prend contact avec l’élève concerné, dans le respect de la confidentialité. Selon la nature de la demande, le professeur peut proposer un entretien individuel ou converser avec plusieurs élèves pour tenter de résoudre le problème à la source. Ce dispositif se veut réactif et personnalisé. Par ailleurs, le centre PMS, l’ASBL Amarrage et Infor Jeunes participent ponctuellement aux ateliers, offrant un cadre sécurisant et des ressources complémentaires pour accompagner les victimes et sensibiliser l’ensemble de la communauté scolaire.

Enjeux et limites d’une action de courte durée

Si cette initiative suscite un réel engouement, plusieurs questions subsistent quant à sa portée à long terme. Trois jours d’ateliers et de représentations théâtrales peuvent être perçus comme un coup de projecteur utile, mais insuffisant pour transformer en profondeur les attitudes. En pratique, la pérennité des changements de comportement dépendra de la continuité des actions et du suivi effectué par la cellule : sans un véritable plan d’évaluation et de relance, le risque est de retomber dans une routine où le harcèlement reste sous-diagnostiqué.

De plus, l’intervention d’équipes externes, aussi compétentes soient-elles, peut créer une fragilité si les partenariats ne sont pas renouvelés ou si le budget vient à manquer. Certains redoutent aussi un effet « performatif » : les élèves pourraient considérer ces journées comme un simple exercice institutionnel, sans réelle appropriation des messages. Enfin, l’absence d’un volet numérique sur le cyberharcèlement, omniprésent dans la vie quotidienne des jeunes, limite le spectre de sensibilisation aux seules interactions physiques.

Quel avenir pour la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire ?

Au-delà de l’ESPA d’Andenne, de nombreux établissements wallons et flamands mettent en place des cellules bien-être ou des programmes similaires. Reste à savoir comment mesurer leurs effets concrets : le nombre de signalements, l’évolution du climat scolaire, le suivi psychologique des victimes ou encore le témoignage des enseignants. L’enjeu est d’inscrire ces démarches dans une feuille de route durable, avec des indicateurs de succès et une formation continue des équipes éducatives.

Par ailleurs, la question de l’extension de ces initiatives à toutes les filières et à l’ensemble des niveaux scolaires se pose. Comment impliquer systématiquement les élèves de 1re à 6e année, et pas seulement ceux destinés aux métiers de l’éducation ? Le renforcement du volet genre invite également à diversifier les approches : intégrer des ateliers sur le harcèlement en ligne, sur la pression entre pairs et sur les stéréotypes de genre pourrait enrichir le dispositif.

À terme, l’objectif est de bâtir un réseau d’écoles pilotes en Belgique francophone, échangeant leurs bonnes pratiques et évaluant leurs résultats. Le théâtre d’action a prouvé son efficacité pour éveiller les consciences, mais il doit être complété par des ressources psychologiques, un suivi régulier et une évaluation scientifique. Seule une démarche structurée, co-construite avec les élèves, les enseignants et les associations, permettra de faire reculer durablement le harcèlement à l’école et dans l’espace public.

0 commentaires

Articles Connexes