Objectif Emploi Gembloux : un laboratoire local pour combattre le chômage de longue durée
Depuis 2023, l’initiative Objectif Emploi Gembloux a permis de créer quatorze emplois au sein de l’économie sociale. Porté par l’agence Smart et cofinancé par la Région wallonne et le Fonds social européen, ce projet pilote interroge la capacité des « TerritoiR’ES » à proposer un modèle viable et durable de lutte contre le chômage structurel.
Les origines d’une expérimentation sociale à Gembloux
Concrètement, Objectif Emploi Gembloux s’inscrit dans l’opération wallonne « Territoires Zéro Chômeur », rebaptisée depuis TerritoiR’ES pour « Territoires de Réparation par l’Économie Sociale ». Lancée en 2023, cette politique publique vise à réduire le chômage de longue durée en créant des activités économiques locales répondant à des besoins non satisfaits sur le territoire. À Gembloux, c’est l’agence d’insertion Smart qui pilote l’expérience. Les candidats – résidents de la commune depuis au moins six mois et inoccupés depuis deux ans – bénéficient d’un accompagnement personnalisé pour identifier leurs freins à l’emploi et leurs aspirations professionnelles.
Le financement est assuré à parts égales par la Région wallonne et le Fonds social européen (FSE). Cette co-construction institutionnelle est au cœur du dispositif : la Région apporte des subsides publics et le FSE des crédits européens conditionnés à l’impact social et à la création d’emplois durables. Par cette articulation, les porteurs du projet entendent limiter la dépendance exclusive aux finances régionales tout en répondant aux exigences de l’Europe en matière d’insertion socio-professionnelle.
Des services répondant aux besoins locaux
La force d’Objectif Emploi Gembloux tient notamment à son diagnostic territorial et aux activités qu’il génère. Concrètement, l’équipe de coordination, emmenée par Hélène Fichefet, recense les manques dans les services à la population et aux commerces. Ont ainsi vu le jour :
- un atelier de réparation de petits appareils électroménagers, favorisant la réutilisation et limitant le gaspillage ;
- un service de brico-dépannage pour les particuliers, combinant savoir-faire technique et insertion professionnelle ;
- une assistance administrative dédiée aux commerces et associations locales, pour alléger les formalités et renforcer la vie associative.
En pratique, chaque emploi est porté soit par Smart, soit par un partenaire local comme la coopérative sociale Cyreo, l’entreprise de travail adapté Les Dauphins ou AgricoVert, spécialisé dans l’agriculture durable. Cette mise en réseau des acteurs renforce la cohésion sociale et permet de diffuser l’approche économique sociale au sein du tissu communal.
Bilan quantitatif et pilotage régional
Deux ans après son lancement, Objectif Emploi Gembloux affiche un bilan chiffré de quatorze emplois créés. Soit en moyenne sept postes par an, garantis jusqu’à la fin du projet en décembre 2026. Ce résultat s’inscrit dans un ensemble de dix-sept projets pilotes sélectionnés par la Région wallonne en 2023, destinés à faire baisser les chiffres du chômage long terme.
Cependant, la nouvelle majorité régionale a rapidement entrepris un arbitrage budgétaire. Sur les dix-sept expériences, cinq ont été arrêtées pour jugées trop coûteuses ou insuffisamment efficientes. Ce recentrage a pour objectif d’éviter de maintenir indéfiniment des initiatives à faible impact, tout en concentrant les moyens sur les dispositifs les plus prometteurs. À Gembloux, la conjonction d’un diagnostic précis, d’un financement mixte et d’un ancrage local solide a joué en faveur de la poursuite du projet.
Enjeux de pérennisation et fragilités à venir
À terme, le défi principal reste la pérennisation des emplois au-delà de décembre 2026. Pour l’instant, la garantie de postes apportée par Smart et ses partenaires rassure les travailleurs. Mais qu’adviendra-t-il lorsque le financement public s’arrêtera ? Le risque de précarité plane si aucun plan de viabilité économique n’est mis en place. Les conditions concrètes d’emploi – salaires, contrats, protection sociale – ne sont pas encore clairement divulguées, ce qui suscite des interrogations sur la qualité réelle des postes créés.
Autre enjeu majeur : la capacité de ces activités à devenir rentables. Les ateliers et services sociaux doivent générer un chiffre d’affaires suffisant pour couvrir leurs coûts, tout en restant abordables pour les usagers. C’est une équation délicate, d’autant que l’objectif social prime sur la rentabilité à court terme. Concilier impact social et santé financière des structures est donc un équilibre à trouver rapidement.
Débats politiques et perspectives critiques
Pour ses partisans, le modèle TerritoiR’ES incarne une réponse innovante au chômage structurel. « On essaye de faire correspondre les envies de nos travailleurs et les besoins du territoire », explique encore Hélène Fichefet. Cette approche participative, centrée sur l’individu, contraste avec les offres d’emploi standardisées souvent inadaptées aux profils les plus éloignés du marché de l’emploi.
Cependant, ses détracteurs pointent la modestie des résultats : quatorze emplois en deux ans pour une commune de 25 000 habitants ne suffisent pas à changer la donne à grande échelle. Ils dénoncent aussi la lourdeur administrative du montage financier et la dépendance aux subventions publiques. Certains estiment qu’une partie des ressources ne devrait pas être consacrée à la création « d’emplois subventionnés », mais plutôt à la formation professionnelle ou à l’incitation des entreprises privées à embaucher.
Enfin, la sélection de cinq projets pilotes jugés « moins efficaces » pose la question des critères d’évaluation. Manque-t-on de transparence sur les résultats attendus ? Les modalités de comparaison entre initiatives n’ont pas été communiquées en détail, ce qui complexifie l’analyse de l’impact réel de tels dispositifs.
Vers un modèle reproductible à l’échelle wallonne et au-delà ?
Face à ces critiques, la question de la transférabilité du modèle Gembloux se pose. Les promoteurs soulignent l’ancrage local et l’adaptation aux besoins de chaque territoire comme clés de succès. « Chaque projet doit partir d’un diagnostic fin pour co-construire des activités viables », insiste-t-on du côté de Smart.
En France, les premiers Territoires Zéro Chômeur ont tenté l’aventure dès 2016, avec des réussites variables selon les municipalités. Le benchmark franco-wallon pourrait permettre d’identifier des bonnes pratiques et des erreurs à éviter. À Gembloux, la collaboration avec des acteurs de l’économie sociale – coopératives, entreprises adaptées, associations – pourrait servir de modèle pour d’autres communes wallonnes confrontées à un chômage de longue durée.
En définitive, Objectif Emploi Gembloux constitue un « laboratoire » où l’ambition sociale se heurte aux réalités budgétaires et aux exigences de rentabilité. À l’approche de l’échéance de 2026, le plus grand défi sera peut-être de démontrer qu’un tel modèle peut non seulement créer des emplois, mais aussi les maintenir durablement, sans rejouer les mêmes arbitrages financiers à chaque mandat régional.


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